La hausse des taux fait grimper l’inflation

Après le énième coup de canif depuis le mois de mars 2022, la banque centrale américaine régalera les marchés financiers d’une nouvelle saignée le 3 mai prochain. Son taux directeur sera relevé (selon toute vraisemblance) de 25 points de base. Si le mouvement peut sembler d’une ampleur limitée, les marchés craignent à présent qu’il ne marque pas la fin du resserrement monétaire, comme ils en étaient persuadés jusqu’à récemment, mais qu’il soit suivi d’autres hausses dans les mois à venir.

Certes, ce scénario paraît peu probable (moins de 30 % de chance), mais avec l’équipe de gouvernance monétaire actuelle, rien ne dit qu’elle ne voudra pas continuer à tirer à l’aveuglette. Elle reste en tout cas sourde à l’argument selon lequel tout cela ne sert à rien et cause beaucoup de dégâts inutiles. You can't talk to a man with a shotgun in his hand. You can't talk to a man when he don't wanna understand[1] …

De son côté, la BCE prévoit encore, elle aussi, au moins une nouvelle hausse d’un quart de pour cent de son taux directeur. Ce qu’elle réitèrera très probablement quelques mois plus tard. L’inflation de base dans la zone euro est en effet encore plus tenace, si tant est que cela soit possible, qu’aux États-Unis. Les baisses de taux attendues aux États-Unis en 2024 (qui nous ramèneraient à un niveau neutre de 3,5 %) ne concernent donc pas la zone euro. Et même si l’on porte son regard jusqu’en 2025, l’on reste bien en peine de trouver un premier signe annonciateur d’un repli significatif du taux à court terme.

En optant pour la solution de facilité consistant à relever les taux d’intérêt, les banques centrales provoquent de (nombreux) dommages économiques et financiers, comme on peut le constater tous azimuts. La science économique a pourtant trouvé de bien meilleures solutions à ces problèmes.

Économistes de tous les pays, unissez-vous (et exigez une approche solide et rationnelle).

La stratégie choisie n’a en tout cas aucun impact sur l’évolution de l’inflation de base[2]. Au contraire, les hausses de taux d’intérêt des banques centrales européennes et américaines ne font que hisser ces indices de prix à des niveaux (encore) plus élevés. Heureusement, les indices généraux d’inflation (qui comprennent les prix de l’énergie et des denrées alimentaires) évoluent dans la bonne direction, en reculant même à grands pas.

Ce développement favorable n’est dû cependant qu’au dégonflement des cours des matières premières, de l’énergie et des produits alimentaires. Sur les marchés mondiaux, il faut en effet chercher loin pour trouver des matériaux dont le coût a augmenté depuis l’invasion russe. Les prix du gaz en Europe sont aujourd’hui deux fois moins élevés qu’avant l’invasion, et le cours du pétrole a baissé de 10 %. Les prix de la plupart des denrées alimentaires ont également reculé[3]. Le contraste est saisissant avec les prix à la caisse des supermarchés, qui continuent d’augmenter sans vergogne et sans trop de grogne de votre part. Tout cela repose sur le malentendu collectif selon lequel les flambées de prix résulteraient de toutes sortes de pénuries provoquées par le conflit militaire en Ukraine. 

Consommateurs de tous les pays, unissez-vous (et exigez un reflet exact des prix des produits dans votre caddie).

Une flambée inflationniste peut avoir différentes origines : Une hausse brutale des coûts de production, une économie en surchauffe en raison d’un pouvoir d’achat dopé par un dérapage des salaires, une croissance monétaire excessive et/ou des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement. En 2022, tous ces facteurs se sont conjugués, de sorte que la hausse temporaire des indices d’inflation au premier trimestre n’a surpris personne et n’a pas incité (à l’époque) les banques centrales à intervenir d’une quelconque manière. L’invasion russe a cependant donné un caractère plus permanent aux hausses de prix, de sorte que les banques centrales, prises de panique, ont relevé leurs taux directeurs à pas de géant, au-delà du seuil de tolérance de l’économie, au risque de déclencher une nouvelle crise financière.

Depuis, la plupart des obstacles dans les chaînes d’approvisionnement ont été éliminés, ce qui permet un arrivage relativement fluide des produits sur les marchés mondiaux.

La croissance de la masse monétaire en 2020 et 2021 a été largement absorbée et ne constitue plus une menace.

Fallait-il dès lors faire plier la croissance économique sous une douche glacée de grêlons sous la forme de hausses de taux d’intérêt ? Ces resserrements monétaires ne sont utiles que lorsque les salaires s’accélèrent et que les dépenses de consommation font grimper les prix.  Cela se produit lorsque le marché du travail est tendu. Mais le niveau actuel, historiquement bas, du chômage (aux États-Unis et dans la zone euro) s’explique surtout par des évolutions démographiques spécifiques, la génération du baby-boom quittant massivement le marché du travail, ce qui est insuffisamment compensé par les nouveaux arrivants. D’ici quelques années, d’ailleurs, cette situation s’inversera. Les salaires augmentent (heureusement), mais leur croissance ne s’accélère pas.

Dès lors, les hausses de taux d’intérêt n’ont actuellement aucun impact sur cette situation. Au contraire, comme la récente poussée inflationniste se nourrissait surtout de la hausse soudaine des prix des matières premières, de l’énergie et des denrées alimentaires, les augmentations des taux d’intérêt dopent un peu plus l’inflation de base.

Entre-temps, les prix de (presque) tous les métaux, du gaz, du pétrole et de la plupart des denrées alimentaires ont lourdement chuté, entraînant une baisse significative des [4]indicateurs de l’inflation générale. Mais l’inflation de base reste inchangée. Les entreprises essaient en effet de répercuter l’explosion de leurs coûts de financement sur le consommateur final. Résultat : les prix élevés à la caisse ne sont pas près de baisser. Ils resteront même très élevés très longtemps.

Cette évolution est même exacerbée par les ondes de choc provoquées par la forte hausse des taux hypothécaires. La demande d’habitations en location - toujours pour des raisons démographiques - ne diminue pas, tandis que les propriétaires répercutent la forte augmentation de leurs coûts financiers. Avec un poids de 40 % (!), les loyers pèsent lourd dans l’indice de l’inflation de base. Quelle bourde.

Locataires de tous les pays, unissez-vous… 

Sur les marchés d’actions, on le déplore comme tout le monde, mais la plupart des indices boursiers ont réussi à s’extirper de ce bourbier improbable et à dépasser à nouveau leurs niveaux d’avant l’invasion. Certains, comme l’indice boursier européen, parviennent même à se hisser au-dessus du niveau de début 2022.

Graphique 1 : Évolution des indices d’actions depuis le 01-01-2022 (indice return en €)

Graphique 1 : Évolution des indices d’actions depuis le 01-01-2022 (indice return en €)

Cette évolution étonnante dans la zone euro est portée principalement par l’envolée des valeurs financières. Les grandes banques ont trouvé un second souffle grâce au large différentiel existant entre les taux d’intérêt sur les marchés interbancaires et les taux offerts aux épargnants, ce qui leur permet d’élargir (temporairement) leur marge bénéficiaire. L’indice technologique Nasdaq semble traîner la patte, mais il ne faudrait pas oublier trop vite les performances héroïques de cet indice boursier dans un passé récent.

Ce redressement boursier audacieux et déterminé est cependant régulièrement perturbé par les commentaires de la Fed. Tout récemment encore, à travers le risque d’un durcissement des conditions de qualité du crédit. Les hausses inédites des taux d’intérêt, en particulier à l’extrémité longue de la courbe, ont entraîné en effet des dépréciations considérables sur les positions des banques en obligations (d’État) et menacent de déstabiliser le secteur financier.

Cela pourrait les amener à renforcer leurs conditions d’octroi des crédits aux entreprises. Ce qui menace à son tour de mordre sur les marges bénéficiaires des entreprises. Entre-temps, l’heure a sonné à nouveau pour la publication des résultats d’entreprise du trimestre écoulé et des perspectives pour le trimestre à venir. Si les premiers ne sont pas trop mauvais jusqu’à présent, les secondes sont assombries par un scénario économique pour le moins lugubre. On craint désormais que la récession anticipée de longue date se matérialise pour de bon dans les mois à venir.

Les actions n’en restent pas moins le meilleur placement parce que les investisseurs professionnels osent se projeter plus loin dans l’avenir et apercevoir l’aube imminente à l’horizon, une fois que la Fed aura desserré son étau et que l’économie pourra se redresser.

Pour l’instant, cela ne s’applique pas aux investisseurs obligataires, qui sont encore sous le choc de la chute vertigineuse des prix des obligations d’État en 2022. Ils doivent toujours digérer une perte (en moyenne) de 15 % et se sentent (à juste titre) trahis par leurs banques centrales. Il faudra beaucoup de temps avant que ce traumatisme ne se dissipe et que la confiance puisse être rétablie.

Ce n’est que lorsque l’inflation de base sera résolument orientée à la baisse qu’un rétablissement complet des cours obligataires pourra avoir lieu. Et ce moment finira bien, lui aussi, par arriver. En attendant, nous vous appelons à faire preuve de patience, en y ajoutant une touche de courage, de la perspicacité et une bonne dose de volonté.

Investisseurs de tous les pays, unissez-vous… 

[1] Nous connaissons, nous aussi, nos classiques : Extrait de « Smackwater Jack » de Carole Kings, un chef-d’œuvre inégalé et intemporel : Tapistry (1971)

[2] L’inflation de base comprend l’évolution des prix d’un panier représentatif de biens et de services, corrigée des prix de l’énergie et des denrées alimentaires. 

[3] Seul le cours mondial du maïs est resté stable. Le riz et le sucre sont devenus plus chers, mais pour des raisons spécifiques, telles que les mauvaises conditions météorologiques au Brésil au cours de la dernière campagne de semis.

[4] Y compris les prix de l’énergie et des denrées alimentaires.